Le Choc des Identités : Comment Éric Zemmour a Démoli la Vision de la « France Métissée » de Mathieu Kassovitz pour Sacraliser l’Assimilation.

La scène politique française est régulièrement le théâtre d’affrontements verbaux et idéologiques de haute intensité. Rarement, cependant, un duel d’idées n’aura été aussi chargé en symboles et en émotions que celui qui a opposé, à distance, l’écrivain et candidat Éric Zemmour à l’acteur-réalisateur Mathieu Kassovitz. Ce qui aurait dû être un débat en face-à-face, annulé pour cause de confinement de l’acteur, s’est transformé en un échange asynchrone, mais d’une violence intellectuelle inouïe. La question au centre de ce face-à-face manqué n’est autre que la définition même de la France : est-elle un creuset de cultures toujours en fusion, intrinsèquement « métissée », ou bien repose-t-elle sur un socle culturel rigide, exigeant l’« assimilation » totale ?
Le titre de ce clash médiatique est sans appel : Zemmour a « pulvérisé » les propos de Kassovitz. Mais au-delà de la victoire rhétorique, c’est une bataille de visions du monde, nourrie par l’histoire personnelle de chacun, qui s’est jouée sous les yeux des Français.
I. Le Plaidoyer Émotionnel de Kassovitz : La France “Métissée de Souche”
Tout a commencé par un message vidéo de Mathieu Kassovitz, un plaidoyer personnel et sincère. L’acteur, fils d’un réfugié politique hongrois arrivé en France dans les années 60, pose d’emblée une équation identitaire : « Je suis né en France. J’ai pris la culture française, je l’ai mélangé à la culture hongroise de mon père, j’ai mélangé les religions de mes parents. » De ce mélange intime, il tire une conclusion universelle : « Nous sommes métissés et nous sommes métissés de souche maintenant ».
Pour Kassovitz, la France est une terre d’accueil et d’évolution perpétuelle. Il déconstruit la notion de « France blanche et catholique », la qualifiant de « fantasme » et de « notion obsolète ». Selon lui, le « grand remplacement » tant agité par la droite identitaire n’est qu’une illusion ; il n’y a qu’une « évolution du monde ». Le métissage est inévitable et l’ouverture républicaine est l’étendard historique de la nation. Paradoxalement, il présente la candidature d’Éric Zemmour, fils de juif algérien, comme l’exemple ultime et « cynique » de cette ouverture.
L’acteur-réalisateur appuie son propos sur des chiffres impressionnants. Citant l’INSEE et l’INED, il rappelle qu’en 2021-2022, les immigrés (personnes nées étrangères à l’étranger) représentent 10,3 % de la population. Mais l’effet cumulatif est encore plus frappant : en y ajoutant leurs enfants, on atteint environ 14 millions de personnes, soit plus de 20 % des Français. En intégrant la troisième génération (petits-enfants), c’est « près de 30 % des Français de moins de 60 ans qui ont une ascendance migratoire ». Ces statistiques, puissantes, servent son argument : la France n’est pas en train de se mélanger, elle est déjà mélangée. Vouloir « la refermer sur elle-même », comme il accuse Zemmour de le faire, serait aller contre l’histoire et le mouvement du monde.
II. La Précision Historique et le Culte de l’Assimilation

La réponse d’Éric Zemmour a commencé sur une note inattendue : un hommage sincère à l’acteur. « Je lui souhaite un prompt rétablissement parce que je lui aurais dit à quel point je l’admire en tant qu’acteur et je ne plaisante pas, » a-t-il déclaré, révélant avoir passé son confinement à regarder la série culte Le Bureau des Légendes. Cette ouverture courtoise n’a fait que rendre son contre-argumentation subséquente plus tranchante encore.
Zemmour a d’abord tenu à une correction d’ordre historique et symbolique, démontrant la prééminence du fait français sur toute autre notion. Il refuse l’appellation de « Juif Algérien », insistant sur le fait qu’il est un « Juif d’Algérie ». La nuance est capitale : l’Algérie, selon lui, n’existait pas en tant qu’État avant la France, et donc, sa famille était française par la force de l’histoire et du droit. Il utilise l’exemple de la Tunisie pour illustrer que même ces États modernes n’ont qu’une soixantaine d’années d’existence en tant qu’États souverains, donnant ainsi raison à sa volonté de précision historique.
Mais le cœur de sa réfutation, ce qui a véritablement « pulvérisé » le propos de Kassovitz, réside dans la distinction entre métissage et assimilation.
« Il mélange toutes les notions. Il mélange métissage, ouverture, République, » a-t-il asséné.
Pour Zemmour, le génie de la France n’est pas la diversité ou le mélange des cultures, mais son pouvoir unique et puissant d’assimilation. C’est un concept, insiste-t-il, qui est « le contraire du racisme ». L’assimilation signifie que, quelle que soit son origine, son sang, ou sa religion, l’individu se fond dans le moule culturel français.
Il trouve l’illustration parfaite de cette vision dans la célèbre formule de l’écrivain et diplomate Romain Gary (né en Lituanie, naturalisé français, double lauréat du Prix Goncourt) : « Je n’ai pas une goutte de sang français, mais la France coule dans mes veines ». C’est, selon Zemmour, la quintessence de la culture française, une culture où « nos ancêtres les Gaulois » sont les ancêtres de tous, même si personne n’est « gaulois ».
III. Le Socle Culturel Incontournable : Christianisme et Greco-Romanité
Contrairement à la vision de Kassovitz, qui voit la France évoluer en permanence et s’affranchir de ses racines chrétiennes et blanches, Zemmour campe sur une fondation culturelle immuable. Il affirme sans détour : « Il n’y aurait pas de France sans le christianisme. Il n’y aurait pas de France sans la culture greco-romaine ».
Cette base culturelle est le prérequis à l’assimilation. Les vagues d’immigration, qu’elles soient européennes (Italiens, Espagnols, Portugais) ou plus récentes (Maghreb, Afrique subsaharienne, Asie), se sont toutes imprégnées de cette culture fondamentale. Pour que la France « reste la France », le fantasme de la pureté raciale n’a aucune place, mais l’impératif culturel est absolu : « Il faut que toutes les vagues d’immigration s’imprègnent et s’assimilent à cette culture française qui est oui imprégnée de christianisme et de culture greco-romaine ».
Cette assimilation, qui exige une adhésion totale aux valeurs et aux références culturelles françaises, est présentée comme la seule alternative au communautarisme, cette fragmentation que Zemmour accuse d’être le fruit de l’abandon de l’assimilation. Lorsqu’il raconte son enfance en banlieue dans les années 60, il se souvient d’une époque où l’on ne pensait pas à l’origine de l’autre : « Justement on ne pensait pas à ça parce que justement tout le monde était assimilé. […] On ne savait même pas qui était qui ». La perte de cette ignorance collective, due à la politique de la diversité, serait, selon lui, la cause de la crise identitaire actuelle.
IV. L’Exemple Personnel : L’Équilibre Subtil de l’Assimilation Familiale

La force de l’argumentation de Zemmour réside dans sa propre histoire familiale, qu’il oppose à la vision du « métissage » défendue par Kassovitz. Il décrit l’« équilibre assez subtil » que ses parents, juifs d’Algérie, avaient trouvé : conserver les traditions, la nourriture, et la religion (le judaïsme étant avant tout une religion « très familiale ») à la maison, tout en allant au restaurant et en vivant « comme des Français et avec des Français » à l’extérieur.
L’exemple le plus frappant de cette volonté d’adhésion totale à la nation est révélé par l’histoire des prénoms. Ses grands-parents, Jacob et Rachel, n’avaient pas des prénoms très français, concède-t-il. Pourtant, son grand-père s’est fait appeler Justin, et sa grand-mère maternelle, Urida, s’est fait appeler Claire. Ils ont donné à leurs enfants des prénoms républicains : Robert, Roger. C’est le résultat d’une loi de Napoléon III, mais c’est surtout un acte volontaire et symbolique d’allégeance à la nation française, de la part de ces « pieds-noirs » juifs qui se sont agrégés au peuple français, et sont partis avec eux lors de l’indépendance de l’Algérie, malgré la présence de leur communauté depuis un millénaire.
Ce processus, loin d’être un reniement, est pour Zemmour l’acte intelligent qui a permis à sa famille, et à des millions d’autres, d’être acceptée et de s’épanouir en France. C’est l’essence même de l’universalisme républicain, qui ne reconnaît que l’individu et non les groupes ou les communautés. Ce principe, inscrit dans la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 et dans la Constitution de 1958, est le fondement de la République « indivisible, laïque, démocratique et sociale » qui assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens « sans distinction d’origine, de race ou de religion ».
En opposant l’histoire d’une nation forgée par les Celtes, les Romains, les Germains, et cimentée par le christianisme, au simple fait démographique du métissage, Éric Zemmour a réussi à déplacer le débat. Il a transformé une discussion sur les statistiques migratoires en un face-à-face sur la philosophie de l’identité. Là où Kassovitz voit le progrès dans la fluidité et le mélange inévitable, Zemmour voit le salut de la France dans la rigueur culturelle et l’exigence d’assimilation. Ce duel, bien qu’incomplet, a cristallisé les deux grandes visions qui s’affrontent aujourd’hui pour l’âme de la France. L’une est un miroir de l’évolution du monde, l’autre un rappel de l’héritage millénaire.